Ils ont écrit...

Frédéric Dard

On reçoit la peinture comme on reçoit un être humain. Elle en a la présence et la force. Elle est le plus direct de tous les modes d’expression et les premiers hommes qui traçaient, avec de la pierre dans la pierre, des figures incertaines sur les parois de leur caverne commençaient la merveilleuse histoire de l’art.
De ces dessins rupestres, si dépouillés, aux formes le plus élaborées de la peinture d’aujourd’hui, de sa naïveté originelle à ses délirades présentes, frisant souvent la mystification, elle semble nous avoir tout montré de ses possibilités d’expression.
Et cependant, aussitôt qu’apparaît un artiste nouveau, aussitôt qu’un jeune peintre accroche une de ses toiles à un mur et s’éloigne d’elle pour attendre le verdict du public, je me sens embarqué dans une nouvelle et capiteuse aventure.
Chaque toile que je rencontre a pour moi la magie et l’intensité d’une présence humaine. D’instinct je cherche à l’aimer et à me faire aimer d’elle, la peinture possédant la charge émotionnelle d’un être vivant.
Ce n’est pas Albert Sauteur qui est entré dans ma vie, c’est moi qui suis entré dans la sienne en poussant la porte d’une galerie de Fribourg où il exposait ses œuvres. Je savais qui j’allais trouver, ayant déjà eu entre les mains l’invitation d’une de ces précédentes expositions.
Sa peinture m’intriguait par sa gravité pleine de sérénité. Toutefois, à y regarder plus attentivement, on décelait dans l’œuvre une fausse innocence. Elle paraissait calme et maîtrisée mais restait détentrice d’une force qui me secouait.
Quoi de plus « paisible » qu’une nature morte, en apparence ? Mais quoi de plus étrange, de plus implacable aussi ?
Elle développe une puissance dramatique, se projette en vous avec une inquiétante violence qui vous chavire. La présence de l’objet est mobilisatrice au même titre que celle du portrait car il y a affrontement entre lui et vous. C’est une espèce de lutte délicieuse qui ne s’achève que par la conquête qu’il fait de vous ou par le désintéressement qu’il vous inspire. Vivre avec un tableau est toujours une histoire d’amour à l’issue incertaine comme toutes les histoires d’amour.
Il existe dans l’œuvre d’Albert Sauteur un formidable mystère qui me fascine. Sa peinture est troublante comme le sont certains visages aperçus un jour de pluie derrière les vitres d’un autobus. Elle est chargée de symboles, lourde de secrets que nous ne connaîtrons jamais et qui attisent notre curiosité avec une magnifique indifférence.
Le peintre est conforme à son œuvre : silencieux et meurtri à jamais par le mal inguérissable de l’art qu’il porte comme un cilice. Sombre damnation de l’artiste définitivement saisi par ses tourments de créateur.
Espèce de troubadour mélancolique, débarqué dans ce siècle qui ne l’attendait plus, Albert Sauteur monte la garde auprès de son œuvre, il en est le veilleur pensif ; fait d’ombres, de silences et d’humilité orgueilleuse.
Je tenais à vous faire connaître cet artiste enchanté, inspiré, cet homme si simple pourtant, à vous le confier sans arrière pensée, car je sais qu’il possède les talents de l’âme, de la main et du cœur.
Albert Sauteur appartient à la race des grands. Je l’ai vu souffrir de sa peinture comme d’un mal merveilleux, les mâchoires crispées, devant son chevalet avec, dans le regard et sur son visage de ménestrel égaré, cette expression douloureuse et stupéfaite des vrais peintres pour qui créer est une lente agonie.


patrick nordmann

Sauteur dépasse les borgnes

Le Fribourgeois Albert Sauteur est peintre dans l’âme et dans les tripes. Attention, pas du genre artiste fumeux qui vend cher son incompétence à tracer une ligne droite. Jadis à l’Université de Berne, alors qu’il passait ses examens de prof de dessin, il a présenté pour son travail d’art contemporain une barbouille réalisée par sa fille de trois ans. Triomphe auprès des experts, qui l’ont chaudement félicité pour son talent ! Dégouté, il conchie depuis lors les beaux esprits bourgeois qui veulent imposer leur vision de l’art moderne.
« Albert Sauteur appartient à la race des grands. Je l’ai vu souffrir de sa peinture comme d’un mal merveilleux, les mâchoires crispées devant son chevalet avec, dans le regard et son visage de ménestrel égaré, cette expression douloureuse et stupéfaite des vrais peintres pour qui créer est une lente agonie. » L’auteur de ces lignes n’est autre que Frédéric Dard. Sauteur se veut donc figuratif. Et sur une toile plate, il veut l’espace et sa profondeur. D’autres avant lui s’y sont essayés, créant des chefs-d’œuvre. Mais toujours avec le même petit problème : pour donner de la profondeur à leur tableau, ils n’adoptaient qu’un seul point de vue d’où bâtir la perspective, en ignorant la vision stéréoscopique. Un peu comme si tous les humains étaient des cyclopes.

Deux yeux pour voir, tout est là. Depuis 30 ans, Sauteur bosse comme un fou à réaliser des portraits et des natures mortes d’une perfection absolue, qui combinent la vision de l’œil droit et celle du gauche. Une perspective binoculaire jusqu’alors inédite et dont il est l’inventeur.
Bien entendu, même s’il a présenté ses travaux dans les plus grandes universités, le petit monde des beaux arts le traite avec le plus grand mépris : il ne manquerait plus que les autoproclamés roitelets de l’art rendent hommage à un artiste qui se paie ouvertement leur tête.
Lui, il s’en fout presque. Il continue son œuvre dans l’espoir qu’on puisse dire un jour : la vraie perspective en peinture a été inventée par un Suisse, Albert Sauteur.

Guy simonin

Directeur scientifique du Palais de la découverte à Paris

Albert Sauteur est venu me voir en 2010 au Palais de la Découverte. Le Palais de la Découverte est l'un des premiers musées au monde à avoir tenté de montrer la science en train de se faire, et il le réussit assez bien depuis 1937! En quoi l’œuvre d’Albert Sauteur pouvait-elle avoir à faire avec un haut lieu scientifique comme le Palais ? Il m’a fallu un an pour donner sens à la découverte d’Albert Sauteur et c’en est bien une !
Nous sommes avec lui au carrefour de la science et de l’art. La science procède d’une convergence d'approches : tous les chercheurs cherchent à cerner une même vérité, même s'ils n'y arrivent jamais vraiment. L’art, au contraire, suscite la divergence d’avis sur une même œuvre. Chaque interprétation de l'œuvre a une valeur intrinsèque, non prévue par l'auteur.
Léonard de Vinci puis après lui bien d’autres comme Picasso se sont rendus compte de l’importance d’une vision globale et subjective du modèle qu’ils peignent. Mais tous ont cherché à représenter leur modèle au plus proche de leur ressenti, de leur perception intime. Léonard de Vinci a par exemple cherché à dépasser la réalité de ce qu'il perçoit en développant la technique de sfumato, un certain flou autour des visages et une fusion des personnages avec le paysage. Picasso a de son côté représenté des visages décalés que l’on peut percevoir avec ses deux yeux. Il a peint des tableaux dans lesquels certains visages sont décalés selon l’axe de symétrie entre la partie gauche et la partie droite. C’est exactement ce que l’on perçoit avec deux yeux lorsque l'on fait du nez à nez avec un ami et que l'on penche la tête. C'est peut-être une expérience personnelle vécue qui lui a donné cette idée ?
Albert Sauteur est allé plus loin que tous dans cette idée, en travaillant sur un même tableau la perception que chacun des deux yeux peut avoir juste avant la fusion effectuée avec le cerveau en une image unique , à partir de l'image de chacun des yeux. Léonard de Vinci avait presque eu cette intuition que pour atteindre la perfection il fallait avoir cette vision globale. Dans le Manuscrit A (1490) il écrit : "Pour voir si la peinture est dans l’ensemble conforme à la chose que tu représentes, prends un miroir et fais-y refléter le modèle, puis compare ce reflet avec la peinture. Et, voyant que le miroir peut par lignes, ombres et lumières, créer l’illusion du relief, toi qui as, parmi tes couleurs, des ombres et lumières plus puissantes que celles du miroir, si tu sais les combiner comme il faut, ton œuvre apparaîtra sans doute elle aussi, semblable à la réalité vue dans un grand miroir." Il ne parle pas de fusion de deux images, mais c'est bien ce qui se passe lorsque dans un miroir plan, il observe un modèle avec ses deux yeux. L'image donnée par le miroir est un reflet plus proche de la réalité que ne le serait une photo ou une image obtenue dans la chambre noire (camera oscura).
Il a fallu attendre le XXIe  siècle pour passer de la camera oscura à la vision binoculaire sur un tableau. Le trouble provoqué par cette technique est propice à de multiples interprétations de l'œuvre, et c'est là que l'art reprend ses droits et sa puissance sur la technique. A n'en pas douter, Léonard  aurait pris grand plaisir à travailler avec notre ami Albert.
(…) Albert Sauteur, un digne successeur de Léonard de Vinci.

Iain pears

It was difficult to believe that such a simple insight [binocular perspective] should not have been thought of before. But that, I suppose, is where true inspiration lies: something which, when it is pointed out, is so obviously the case that further elaboration is almost unnecessary. And indeed, although people have written on binocular vision, no-one (that I came across) ever thought of taking it one stage further and applying it to perspective and painting. It would be interesting, though, to analyse paintings of the Renaissance and see if there is any trace of the method in surviving works: You never know unless you look, and as far as I can see, no-one has looked. The results – your paintings – are delightful things and impressive illustrations of your argument; I’m only sorry I have no opportunity to see the real ones: I long ago learned that no photograph can ever really capture a painting, however good the photographer. One day, I hope, I will do so.

Georges Haldas

C’est devenu aujourd’hui un lieu commun de dire que la peinture non figurative, et l’art abstrait, à leur naissance, répondaient à un besoin. Avaient une fonction par rapport à la tradition picturale et à l’esprit du temps. Aller au-delà de l’apparence des choses reconnaissables. En pénétrer les dessous, d’une part ; et, de l’autre, saisir les dispositions mentales qui permettaient cette exploration des profondeurs du dedans et celles du dehors. Mais on sait ce qui est advenu. Peu à peu, ce qui avait été une découverte, s’est mué en procédé. En routine. S’est même installé dans une sorte d’académisme du non-figuratif. Rien de plus monotone dès lors. De plus ennuyeux. Entez dans n’importe quelle galerie, vous y trouverez à peu près toujours les mêmes choses. Aucun peintre vraiment n’émerge. Quasi pas d’œuvres qui vous touchent au cœur. Vous atteignent au centre de vous-mêmes.
Pourquoi je dis cela ? Parce qu’il existe un peintre, en ce pays, qui, rompant avec ce conformisme, en revient, lui, aux apparences. On entend déjà ces petits critiques d’art, dont la servilité à l’égard des modes se double de cécité mentale, ricaner. Retour à un réalisme de papa. Art régressif. Eh bien, avec Albert Sauteur, c’est tout le contraire. En quoi donc ? Partons d’une considération simple : vous avez devant vous un certain nombre d’objets : une bouteille, un vase, un violon. Ils ont l’air immobiles. Mais nous savons, la science aidant, qu’ils ne sont qu’un tourbillon de molécules, d’atomes, d’électrons et d’ions, etc. Tournant sur eux-mêmes à des vitesses effroyables. Bref, chacun est une véritable tempête. Or, c’est précisément ce que, sans recours - Dieu merci - à la science, mais par la seule acuité de sont regard, sa sensibilité et sa concentration, Sauteur, d’emblée, semble-t-il, saisit. D’où l’énergie qui se dégage de ses toiles, de petit format en général (la concentration). Ses bouteilles, ses vases, cette « théière et citron » sont donc tout, ici, sauf des « natures mortes », selon l’expression consacrée. Mais bien au contraire des natures singulièrement vivantes. Reste que la nouveauté de cet art n’est pas là encore. Elle est plutôt dans le fait qu’il y a donc les apparences et qu’en même temps on en perçoit ce qui les sous-tend. La surface ici et les profondeurs ne font qu’un alors que dans le non-figuratif ces deus aspectes de la réalité sont séparés.
Mais il y a plus encore. S’il est vrai, comme la physique quantique nous l’apprend, qu’il n’y a pas de matière en soi – d’infimes particules dont les combinaisons engendrent les propriétés spécifiques des éléments – mais des champs magnétiques, tout, au départ, est un tissu de relation. (« Au commencement est la relation », disait déjà Bachelard). De sorte qu’il n’y a plus, d’un côté, la matière ; et, de l’autre, l’esprit. Ce sont, en fait, deux aspects de la même réalité. Et cela aussi Sauteur nous le fait spontanément sentir à travers ses « natures vivantes ». En ce sens précis que sa descente à l’intérieur, si on peut dire, des apparences ne correspond nullement à ce qu’on aurait appelé, il n’y a pas si longtemps encore, un « engluement dans la matière ». Qui se traduirait par une banale et esthétique sensualité (autre poncif). Les objets qu’il nous présente, en effet, sont, au travers même de leur densité, d’une extrême et émouvante pureté. L’esprit, dirait-on, y est présent. Si bien que légère de ce fait, est leur consistance.
[…] C’est pour ces raisons, et quelques autres, qu’il faut considérer l’œuvre d’Albert Sauteur avec la plus grande attention déjà. Car indifférent aux modes, aux courants, à la pression mercantile (inepte est le marché de la peinture) cet artiste courageux, tenace, solitaire suit obstinément la voie qu’il sait être la sienne. On dit volontiers que les apparences sont trompeuses. Faux. Si elles nous trompent, c’est qu’on ne sait pas les lire. Or, Sauteur, lui, en poursuit une lecture particulièrement sagace. Qu’il en soit ici remercié. Et nul doute qu’un jour beaucoup de gens, grâce à son œuvre authentique, ne se réconcilient avec la peinture.

Giorgio Gabella

Professeur, University College of London

Avec son regard original, introspectif, sans conditionnement, Albert Sauteur apporte une contribution révolutionnaire à la compréhension des mécanismes avec lesquels l’œil humain perçoit et reconstruit l’espace visuel tridimensionnel. Par ses peintures il en multiplie les démonstrations et, de ce fait, semble remettre en question les règles universelles de la perspective formulée par Léonardo da Vinci et Albrecht Dürer ainsi que d’autres artistes depuis la Renaissance.

Pascal Bonafoux

[…] Cette gousse d’ail posée devant un verre d’orangeade, ces flacons, ce citron ou ce bocal d’olives, cette terrine, cet oignon dont la peau s’est fendue - je passe sur l’inventaire… Des reflets… Albert Sauteur anachronique ? Vaine accusation. Il n’est pas certain qu’un peintre ait quelques comptes que ce soient à rendre à l’histoire de l’art. J’en veux pour preuve ces phrases publiées en 1875, dans l’Introduction à la critique de l’éco ie politique, de Karl Marx : « La difficulté ne consiste pas à comprendre que l’art grec et l’épopée soient liés à certaines formes du développement social. La difficulté consiste à comprendre qu’ils puissent encore nous fournir des satisfactions esthétiques. » Ce constat déconcerté, dépourvu de réponses, implique qu’il revient à l’art de tenir tête au Temps (qui n’est pas l’histoire). C’est le rôle des natures mortes d’Albert Sauteur de tenir tête au Temps.
Face aux toiles d’Albert Sauteur, je songe encore à l’étonnement de Philostrate – ce Philostrate qu’on se résigne faute de preuves à appeler l’Ancien qui est né vers 165 à Lemnos peut-être, qui fut l’élève d’Antipater de Hiérapolis à Athènes, qui y fut rhéteur comme à Rome et dont on croit savoir qu’il mourut pendant le règne de Philippe l’Arabe entre 244 et 249. On lui doit soixante-cinq descriptions de tableaux d’une collection… Devant l’une des œuvres, il s’exclame : « Et toi, qui n’as rien dit pour me ramener à la réalité alors que je m’égarais, tu étais la dupe de la même illusion, tu n’as pas su mieux que moi te défendre contre l’artifice du peintre et le sommeil de la raison ! ».
Les natures mortes d’Albert Sauteur égarent. Elles somment, nécessaires, exigeantes, le regard de (re)prendre conscience. Le reste est sans importance.

Prof. Dr. V. Stoichita

Université de Fribourg

Si sensible, si précise, si souverainement « atemporelle ».

Dr. Matthias Frehner

Fondation Oskar Reihnart

Une interprétation toute personnelle et unique en son genre de la nature morte.

Joseph Deiss

Président de la Confédération suisse - Président de l'Assemblée générale des Nations Unies

Sous l’apparence d’un calme tout ordinaire, les œuvres de Albert Sauteur mettent côte à côte les objets de notre quotidien de manière à nous surprendre. Nos images conventionnelles de la réalité sont ainsi déstabilisées. Nous voici contraints à l’exercice, combien difficile, mais salutaire et indispensable, de saisir une vision des choses différente de la nôtre.
L’absence, à première vue, de liens entre les objets peints nous interpelle. Elle met en cause notre besoin d’appréhender le monde en termes familiers et modifie l’évidence du tissu de sens qui nous entoure. Quelles sont les relations imprévues et invisibles présentes dans l’esprit de l’artiste et qu’il tente de nous communiquer ?
La décentration qui nous est demandée est doublement importante : elle nous invite à entrer dans l’univers de l’autre et, du coup, nous conduit à prendre conscience plus profondément de notre identité et de nos sentiments. Ce mouvement de balancier entre la reconnaissance de nos propres origines et un monde différent nous met en mesure pour communiquer pleinement.


albert  sauteur


Toutes les images de ce site sont
protégées par le droit d'auteur et
sont la propriété d’Albert Sauteur.
Toute utilisation même partielle
sans le consentement de l'auteur
est prohibée.