On
reçoit la peinture comme on reçoit un
être humain. Elle
en a la présence et la force. Elle est le plus direct de
tous les modes
d’expression et les premiers hommes qui traçaient,
avec de la pierre dans la
pierre, des figures incertaines sur les parois de leur caverne
commençaient la
merveilleuse histoire de l’art.
De ces dessins rupestres, si dépouillés, aux
formes le plus élaborées de la
peinture d’aujourd’hui, de sa
naïveté originelle à ses
délirades présentes,
frisant souvent la mystification, elle semble nous avoir tout
montré de ses
possibilités d’expression.
Et cependant, aussitôt qu’apparaît un
artiste nouveau, aussitôt qu’un jeune
peintre accroche une de ses toiles à un mur et
s’éloigne d’elle pour attendre
le verdict du public, je me sens embarqué dans une nouvelle
et capiteuse
aventure.
Chaque toile que je rencontre a pour moi la magie et
l’intensité d’une présence
humaine. D’instinct je cherche à l’aimer
et à me faire aimer d’elle, la
peinture possédant la charge émotionnelle
d’un être vivant.
Ce n’est pas Albert Sauteur qui est entré dans ma
vie, c’est moi qui suis entré
dans la sienne en poussant la porte d’une galerie de Fribourg
où il exposait
ses œuvres. Je savais qui j’allais trouver, ayant
déjà eu entre les mains
l’invitation d’une de ces
précédentes expositions.
Sa peinture m’intriguait par sa gravité pleine de
sérénité. Toutefois, à y
regarder plus attentivement, on décelait dans
l’œuvre une fausse innocence.
Elle paraissait calme et maîtrisée mais restait
détentrice d’une force qui me
secouait.
Quoi de plus « paisible »
qu’une nature morte, en apparence ?
Mais quoi de plus étrange, de plus implacable
aussi ?
Elle développe une puissance dramatique, se projette en vous
avec une inquiétante
violence qui vous chavire. La présence de l’objet
est mobilisatrice au même
titre que celle du portrait car il y a affrontement entre lui et vous.
C’est
une espèce de lutte délicieuse qui ne
s’achève que par la conquête
qu’il fait
de vous ou par le désintéressement
qu’il vous inspire. Vivre avec un tableau
est toujours une histoire d’amour à
l’issue incertaine comme toutes les
histoires d’amour.
Il existe dans l’œuvre d’Albert Sauteur
un formidable mystère qui me fascine.
Sa peinture est troublante comme le sont certains visages
aperçus un jour de
pluie derrière les vitres d’un autobus. Elle est
chargée de symboles, lourde de
secrets que nous ne connaîtrons jamais et qui attisent notre
curiosité avec une
magnifique indifférence.
Le peintre est conforme à son œuvre :
silencieux et meurtri à jamais par
le mal inguérissable de l’art qu’il
porte comme un cilice. Sombre damnation de
l’artiste définitivement saisi par ses tourments
de créateur.
Espèce de troubadour mélancolique,
débarqué dans ce siècle qui ne
l’attendait
plus, Albert Sauteur monte la garde auprès de son
œuvre, il en est le veilleur
pensif ; fait d’ombres, de silences et
d’humilité orgueilleuse.
Je tenais à vous faire connaître cet artiste
enchanté, inspiré, cet homme si
simple pourtant, à vous le confier sans arrière
pensée, car je sais qu’il
possède les talents de l’âme, de la main
et du cœur.
Albert Sauteur appartient à la race des grands. Je
l’ai vu souffrir de sa
peinture comme d’un mal merveilleux, les mâchoires
crispées, devant son chevalet
avec, dans le regard et sur son visage de ménestrel
égaré, cette expression
douloureuse et stupéfaite des vrais peintres
pour qui
créer est une lente
agonie.
Directeur scientifique du Palais de la découverte à Paris
Albert
Sauteur est venu me voir en 2010 au Palais de la Découverte.
Le Palais de la
Découverte est l'un des premiers musées au monde
à avoir tenté de montrer la
science en train de se faire, et il le réussit assez bien
depuis 1937! En quoi
l’œuvre d’Albert Sauteur pouvait-elle
avoir à faire avec un haut lieu
scientifique comme le Palais ? Il m’a fallu un an pour donner
sens à la
découverte d’Albert Sauteur et c’en est
bien une !
Nous
sommes avec lui au carrefour de la science et de l’art. La
science procède
d’une convergence
d'approches : tous
les chercheurs cherchent à cerner une même
vérité, même s'ils n'y arrivent
jamais vraiment. L’art, au contraire, suscite la divergence d’avis sur une
même œuvre. Chaque interprétation de
l'œuvre a une valeur intrinsèque, non
prévue par l'auteur.
Léonard
de Vinci puis après lui bien d’autres comme
Picasso se sont rendus compte de
l’importance d’une vision globale et subjective du
modèle qu’ils peignent. Mais
tous ont cherché à représenter leur
modèle au plus proche de leur ressenti, de
leur perception intime. Léonard de Vinci a par exemple
cherché à dépasser la
réalité de ce qu'il perçoit en
développant la technique de sfumato, un certain
flou autour des visages et une fusion des personnages avec le paysage.
Picasso
a de son côté représenté des
visages décalés que l’on peut percevoir
avec ses
deux yeux. Il a peint des tableaux dans lesquels certains visages sont
décalés
selon l’axe de symétrie entre la partie gauche et
la partie droite. C’est
exactement ce que l’on perçoit avec deux yeux
lorsque l'on fait du nez à nez
avec un ami et que l'on penche la tête. C'est
peut-être une expérience personnelle
vécue qui lui a donné cette idée ?
Albert
Sauteur est allé plus loin que tous dans cette
idée, en travaillant sur un même
tableau la perception que chacun des deux yeux peut avoir juste avant
la fusion
effectuée avec le cerveau en une image unique , à
partir de l'image de chacun
des yeux. Léonard de Vinci avait presque eu cette intuition
que pour atteindre
la perfection il fallait avoir cette vision globale. Dans le Manuscrit
A (1490)
il écrit : "Pour voir si la peinture est dans
l’ensemble conforme à la
chose que tu représentes, prends un miroir et fais-y
refléter le modèle, puis
compare ce reflet avec la peinture. Et, voyant que le miroir peut par
lignes,
ombres et lumières, créer l’illusion du
relief, toi qui as, parmi tes couleurs,
des ombres et lumières plus puissantes que celles du miroir,
si tu sais les
combiner comme il faut, ton œuvre apparaîtra sans
doute elle aussi, semblable à
la réalité vue dans un grand miroir." Il ne parle
pas de fusion de deux
images, mais c'est bien ce qui se passe lorsque dans un miroir plan, il
observe
un modèle avec ses deux yeux. L'image donnée par
le miroir est un reflet plus
proche de la réalité que ne le serait une photo
ou une image obtenue dans la
chambre noire (camera oscura).
Il
a fallu attendre le XXIe siècle
pour passer de la camera oscura à la vision binoculaire sur
un tableau. Le
trouble provoqué par cette technique est propice
à de multiples interprétations
de l'œuvre, et c'est là que l'art reprend ses
droits et sa puissance sur la
technique. A n'en pas douter, Léonard
aurait pris grand plaisir à travailler avec
notre ami Albert.
(…)
Albert Sauteur, un digne successeur de Léonard de Vinci.
It
was difficult to believe that such a simple insight [binocular
perspective] should not have been thought of before. But that, I
suppose, is where true inspiration lies: something which, when it is
pointed out, is so obviously the case that further elaboration is
almost unnecessary. And indeed, although people have written on
binocular vision, no-one (that I came across) ever thought of taking it
one stage further and applying it to perspective and painting. It would
be interesting, though, to analyse paintings of the Renaissance and see
if there is any trace of the method in surviving works: You never know
unless you look, and as far as I can see, no-one has looked. The
results – your paintings – are delightful things
and impressive illustrations of your argument; I’m only sorry
I have no opportunity to see the real ones: I long ago learned that no
photograph can ever really capture a painting, however good the
photographer. One day, I hope, I will do so.
C’est
devenu
aujourd’hui un lieu commun de dire que la
peinture non figurative, et l’art abstrait, à leur
naissance, répondaient à un
besoin. Avaient une fonction par rapport à la tradition
picturale et à l’esprit
du temps. Aller au-delà de l’apparence des choses
reconnaissables. En pénétrer
les dessous, d’une part ; et, de l’autre,
saisir les
dispositions mentales
qui permettaient cette exploration des profondeurs du dedans et celles
du
dehors. Mais on sait ce qui est advenu. Peu à peu, ce qui
avait
été une
découverte, s’est mué en
procédé. En
routine. S’est même installé dans une
sorte
d’académisme du non-figuratif. Rien de plus
monotone
dès lors. De plus
ennuyeux. Entez dans n’importe quelle galerie, vous y
trouverez
à peu près
toujours les mêmes choses. Aucun peintre vraiment
n’émerge. Quasi pas d’œuvres
qui vous touchent au cœur. Vous atteignent au centre de
vous-mêmes.
Pourquoi je dis cela ? Parce qu’il existe un
peintre, en ce pays, qui,
rompant avec ce conformisme, en revient, lui, aux apparences. On entend
déjà
ces petits critiques d’art, dont la servilité
à l’égard des modes se double de
cécité mentale, ricaner. Retour à un
réalisme de papa. Art régressif. Eh bien,
avec Albert Sauteur, c’est tout le contraire. En quoi
donc ? Partons d’une
considération simple : vous avez devant vous un
certain nombre
d’objets : une bouteille, un vase, un violon. Ils
ont l’air immobiles.
Mais nous savons, la science aidant, qu’ils ne sont
qu’un tourbillon de
molécules, d’atomes,
d’électrons et d’ions, etc. Tournant sur
eux-mêmes à des
vitesses effroyables. Bref, chacun est une véritable
tempête. Or, c’est
précisément ce que, sans recours - Dieu
merci - à la science, mais par la
seule acuité de sont regard, sa sensibilité et sa
concentration, Sauteur,
d’emblée, semble-t-il, saisit.
D’où l’énergie qui se
dégage de ses toiles, de
petit format en général (la concentration). Ses
bouteilles, ses vases, cette
« théière et
citron » sont donc tout, ici, sauf des
« natures
mortes », selon l’expression
consacrée. Mais bien au contraire des natures
singulièrement vivantes. Reste que la nouveauté
de cet art n’est pas là encore.
Elle est plutôt dans le fait qu’il y a donc les
apparences et qu’en même temps
on en perçoit ce qui les sous-tend. La surface ici et les
profondeurs ne font
qu’un alors que dans le non-figuratif ces deus aspectes de la
réalité sont séparés.
Mais il y a plus encore. S’il est vrai, comme la physique
quantique nous
l’apprend, qu’il n’y a pas de
matière en soi – d’infimes particules
dont les
combinaisons engendrent les propriétés
spécifiques des éléments –
mais des
champs magnétiques, tout, au départ, est un tissu
de relation. (« Au
commencement est la relation », disait
déjà Bachelard). De sorte qu’il
n’y
a plus, d’un côté, la
matière ; et, de l’autre,
l’esprit. Ce sont, en
fait, deux aspects de la même réalité.
Et cela aussi Sauteur nous le fait
spontanément sentir à travers ses
« natures vivantes ». En ce sens
précis que sa descente à
l’intérieur, si on peut dire, des apparences ne
correspond nullement à ce qu’on aurait
appelé, il n’y a pas si longtemps
encore, un « engluement dans la
matière ». Qui se traduirait par une
banale et esthétique sensualité (autre poncif).
Les objets qu’il nous présente,
en effet, sont, au travers même de leur densité,
d’une extrême et émouvante
pureté. L’esprit, dirait-on, y est
présent. Si bien que légère de ce
fait, est
leur consistance.
[…] C’est pour ces raisons, et quelques autres,
qu’il faut considérer l’œuvre
d’Albert Sauteur avec la plus grande attention
déjà. Car indifférent aux modes,
aux courants, à la pression mercantile (inepte est le
marché de la peinture)
cet artiste courageux, tenace, solitaire suit obstinément la
voie qu’il sait
être la sienne. On dit volontiers que les apparences sont
trompeuses. Faux. Si
elles nous trompent, c’est qu’on ne sait pas les
lire. Or, Sauteur, lui, en
poursuit une lecture particulièrement sagace.
Qu’il en soit ici remercié. Et
nul doute qu’un jour beaucoup de gens, grâce
à son œuvre authentique, ne se
réconcilient avec la peinture.
Professeur, University College of London
Avec son regard original, introspectif, sans conditionnement, Albert Sauteur apporte une contribution révolutionnaire à la compréhension des mécanismes avec lesquels l’œil humain perçoit et reconstruit l’espace visuel tridimensionnel. Par ses peintures il en multiplie les démonstrations et, de ce fait, semble remettre en question les règles universelles de la perspective formulée par Léonardo da Vinci et Albrecht Dürer ainsi que d’autres artistes depuis la Renaissance.
[…]
Cette gousse d’ail posée devant un verre
d’orangeade,
ces flacons, ce citron ou ce bocal d’olives, cette terrine,
cet oignon dont la
peau s’est fendue - je passe sur
l’inventaire… Des reflets… Albert
Sauteur
anachronique ? Vaine accusation. Il n’est pas
certain qu’un peintre ait
quelques comptes que ce soient à rendre à
l’histoire de l’art. J’en veux pour
preuve ces phrases publiées en 1875, dans l’Introduction
à la critique de
l’éco
ie politique,
de Karl Marx : « La
difficulté ne
consiste pas à comprendre que l’art grec et
l’épopée soient liés
à certaines
formes
du développement social. La difficulté consiste
à
comprendre qu’ils puissent
encore nous fournir des satisfactions
esthétiques. »
Ce constat
déconcerté, dépourvu de
réponses, implique
qu’il revient à l’art de tenir
tête
au Temps (qui n’est pas l’histoire).
C’est le
rôle des natures mortes d’Albert
Sauteur de tenir tête au Temps.
Face aux toiles d’Albert Sauteur, je songe encore
à
l’étonnement de Philostrate
– ce Philostrate qu’on se résigne faute
de preuves
à appeler l’Ancien qui est
né vers 165 à Lemnos peut-être, qui fut
l’élève d’Antipater de
Hiérapolis
à
Athènes, qui y fut rhéteur comme à
Rome et dont on
croit savoir qu’il mourut
pendant le règne de Philippe l’Arabe entre 244 et
249. On
lui doit
soixante-cinq descriptions de tableaux d’une
collection…
Devant l’une des
œuvres, il s’exclame :
« Et toi, qui
n’as rien dit pour me ramener à
la réalité alors que je
m’égarais, tu
étais la dupe de la même illusion, tu
n’as pas su mieux que moi te défendre contre
l’artifice du peintre et le sommeil
de la raison ! ».
Les natures mortes d’Albert Sauteur égarent. Elles
somment, nécessaires,
exigeantes, le regard de (re)prendre conscience. Le reste est sans
importance.
Université de Fribourg
Si sensible, si précise, si souverainement « atemporelle ».
Fondation Oskar Reihnart
Une interprétation toute personnelle et unique en son genre de la nature morte.
Président de la Confédération suisse - Président de l'Assemblée générale des Nations Unies
Sous
l’apparence d’un calme tout ordinaire, les
œuvres de
Albert Sauteur mettent côte à côte les
objets de notre quotidien de manière à
nous surprendre. Nos images conventionnelles de la
réalité sont ainsi
déstabilisées. Nous voici contraints à
l’exercice, combien difficile, mais
salutaire et indispensable, de saisir une vision des choses
différente de la
nôtre.
L’absence, à première vue, de liens
entre les objets peints nous interpelle.
Elle met en cause notre besoin d’appréhender le
monde en termes familiers et
modifie l’évidence du tissu de sens qui nous
entoure. Quelles sont les
relations imprévues et invisibles présentes dans
l’esprit de l’artiste et qu’il
tente de nous communiquer ?
La décentration qui nous est demandée est
doublement importante : elle
nous invite à entrer dans l’univers de
l’autre et, du coup, nous conduit à
prendre conscience plus profondément de notre
identité et de nos sentiments. Ce
mouvement de balancier entre la reconnaissance de nos propres origines
et un
monde différent nous met en mesure pour communiquer
pleinement.
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